Malgré la saison le temps était plutôt au beau fixe ces derniers jours. On aurait difficilement pu rêver mieux pour organiser une petite soirée entre amis. Si bien que quelques-uns de mes camarades de la branche universitaire de Poudlard, et moi-même, nous avions jugé bon de nous motiver mutuellement dans l’optique d’une sortie à Pré-au-Lard. Le lieu n’avait pas vraiment été décidé à l’avance, puisque le but premier de notre excursion était de nous poser dans un endroit où il n’y aurait pas trop de monde. Afin de pouvoir échanger les dernières nouvelles et actus autour de, nombreux, verres d’alcool.
Fidèle à mes habitudes dès que j’avais outrepassé le pas de ma chambre après mon entraînement hebdomadaire de Quidditch, j’avais passé le reste de mon temps libre à pioncer comme un rocher échoué au beau milieu de mon lit. J’avais ouvert les yeux par intermittence, guettant les bruits dans le couloir mais sans jamais trouver le courage de mettre un pied en dehors du lit. Ce n’était que vers dix-neuf heures, lorsque j’en eu assez d’entendre les complaintes de mon estomac gémissant à cause de la faim, que je m’étais décidé à faire quelque chose de ma soirée. Après une douche rapide qui me fit le plus grand bien, j’avais enfilé un jean simple, quoique taillé près du corps. Ainsi que le pull en laine bleu marine que j’avais piqué à Lionel plusieurs jours plus tôt. Me connaissant par cœur, le rouquin ne m’en tenait jamais rigueur quand je me permettait de lui piquer des trucs, puisqu’il savait qu’il les récupérerait un jour prochain. Le tout soigneusement lavé et plié lorsqu'il s'agissait de fringues, ce qui l'arrangeait bien. «
Neuf comme au premier jour » qu’il s’amusait à me rabâcher chaque fois.
Non loin de la porte d’entrée dans ma chambre, je récupérais mon trench noir ainsi que mes sempiternelles baskets d’une marque moldue en vogue cette année. J’avais surtout opté pour l’aspect confortable sans trop m’attarder sur le fait que je puisse dénoter parmi la foule d'étudiants qui se massait chaque soir dans les ruelles de Pré-au-Lard. Plus tôt dans la journée, une camarade de Sport, Justice et Communication Magique m’avait fait promettre de montrer le bout de mon nez «
à la taverne » pour vingt-heures. Non seulement j’allais être à la bourre si je ne partais pas sur le champ, mais surtout le renseignement «
la taverne » était un peu trop vague pour ne serait-ce qu'espérer que j'arrive à temps à destination. Elle ne m’avait pas précisé s’il s’agissait de la Tête de Sanglier ou des Trois Balais… J’étais bien avancé.
Je voulus faire un crochet par la chambre d’Adhara, mais je doutais fort qu’elle soit disponible ce soir. Aussi me contentais-je de jeter un œil dans celle de Lionel en passant devant. Bien-sûr, celle-ci était vide. Il avait dû partir en vadrouille de son côté en oubliant de la verrouiller. S’il ne m’avait pas mis au courant de ses plans pour la soirée, c’était sûrement parce qu'il se jouait quelque chose dont je ne devais pas me mêler. Aussi me contentais-je de cette information avant de détourner les talons en direction du centre du village. J’allais d’abord tenter ma chance aux Trois Balais et aviser en fonction de ce que je verrais là-bas. Tant pis pour mon retard.
Heureusement pour moi, dès que j’eu passé le hall de ma résidence, je sentis un bras autour de mes épaules et reconnu un camarade gryffondor avec qui j’avais pratiquement passé toutes ma scolarité. Il me souriait en se fendant d’un «
bah putain c’est pas trop tôt » en m’entraînant avec lui vers un petit groupe d’étudiants. Je m’excusais auprès d’eux et on me chambra un peu, sans méchanceté. J’étais content de ne pas passer la soirée seul dans ma chambre à ressasser mes pensées noires, en tête à tête avec la solitude.
Nous arrivâmes rapidement à la Tête de Sanglier, où nous nous fîmes un peu remarquer par notre nombre et le brouhaha chaleureux qu’on apportait avec nous. Je baissais la tête pour éviter la lanterne accrochée dans l’entrée – puisque je frôlais maintenant le
mètre quatre-vingt-dix – et me dévêtais prestement de mon manteau. Au même instant, un rire, que j’aurais pu reconnaître entre mille, éclata dans un coin de la pièce. Aussitôt, je sentis un frisson remonter le long de mon échine. Lorsque je relevais les yeux pour jauger la pièce et ceux qui l’habitaient, mon regard s’accrocha presque instantanément au sourire de Lancelot, installé à une table pleine à craquer d'étudiants plus âgés. Ce dernier fit un signe dans notre direction, si vague que je cru tout d’abord qu’il ne nous était pas destiné, mais je n’eus pas vraiment l’occasion de me questionner à ce sujet que déjà on nous installait à une table non loin. N’arrivant décidément pas à décrocher mon regard du Serpentard, je fis en sorte de m’installer à une place ou je n’avais pas à lui tourner le dos. Quelque chose en moi, comme un instinct primaire, me susurrait que quelque chose n’allait pas. Ne me convenait pas. Et je compris de quoi il retournait en fixant la scène qui se jouait devant moi pendant plusieurs minutes. Un serveur se présenta pour prendre notre commande et comme à mon habitude je lui demandais une bière-au-beurre. Que je descendais cul sec sans même en savourer l'amertume. De l'amertume, j'en étais plein à craquer. Dix minutes plus tard, je le hélais à nouveau pour lui en commander une deuxième. Mon voisin de tablée me lâcha un rire surprit en m’envoyant un «
dis-donc Huang, t’as une de ces descentes ce soir ! » auquel je ne répondis pas, le regard toujours fixé sur cette petite pimbêche qui semblait s’accrocher à Avery comme à une bouée de sauvetage. C’était quoi son putain de problème, exactement ?
Plusieurs minutes s’écoulèrent, au rythme des potins et des anecdotes, auxquels je ne prêtais qu’une oreille distraite. Je sentais l’irritation grimper en moi sans réussir à y faire quoique ce soit d’autre que la submerger d’alcool dans l’espoir de la noyer.
Est-ce qu’il accepterait de me servir de bouée de secours, à moi aussi ? Comme cette nuit là... Songeais-je intérieurement avec dépit. Je finissais par me faire pitié moi-même. En désespoir de cause j’interpellai une énième fois le serveur pour lui commander un rhum-groseilles qu’il m’apporta non sans me jauger du regard comme pour s’assurer que j’étais en état. «
T’en fais pas, lui lançais-je mauvais.
Je suis majeur et vacciné. Je sais ce que je fais. » Il haussa les épaules et s’éloigna sans dire un mot. Une amie me jeta un regard inquiet auquel je répondis d’un sourire charmeur de mon cru. Sans Lionel ni Adhara pour me stopper, personne ne pourrait rien y changer de toute manière. Pas ce soir, pas avec l’autre imbécile se pavanant avec une parfaite idiote sous mes yeux.
La preuve qu'il n'y-a pas que les opposés qui s'attirent. J’en étais qu’à un tiers de ma coupe de rhum lorsque je vis Lancelot saluer la populace à sa table et se lever pour s’éloigner vers la sortie de la taverne. Je le regardais faire en espérant qu’il se fendrait au moins une fois d’une œillade dans ma direction, mais il n’en fut rien. Ma colère quadrupla. J’étais à deux doigts de me dire que j’avais rêvé l’épisode de l’infirmerie, il y a de cela deux ans. «
Mais quel connard » pestais-je à haute voix alors que la demoiselle qui s’était lovée contre lui toute la soirée faisait mine de le rattraper pour à nouveau se lover contre lui. Même de la place où j’étais, à cause ou grâce à sa voix suraigüe, je l’entendis quémander à Lancelot de bien vouloir la ramener chez elle. J’étais en feu. Mon voisin de table m’interpella en posant sa main sur mon bras et ce fut l’électrochoc. Je me levais d’un bond et me contentais-je d’un «
J’y vais, salut. » pour toute explication. Je jetais quelques pièces au centre de la table, sans doute trop, sans même essayer de faire le compte juste. Le couple disparaissait déjà dans la pénombre à l’extérieur de la taverne quand je dépassais la table à laquelle ils avaient étés attablés un peu plus tôt. Je récupérais mon manteau dans l’entrée et l’enfilais tout en décalant la lanterne d’un geste sec de la main pour l’éviter. Ce qui me valut un «
hé ! » courroucé du patron du lieu. Mais il était trop tard, j’étais déjà dehors avant même qu’il ait eu le temps d’ajouter quoique ce soit.
Le couple me devançait d’au moins cinq mètres, mais je ne fis rien pour y remédier encore hésitant sur la meilleure marche à suivre. Qu’est-ce qui me prenait, bon sang ? La jeune femme gloussa au bras de Lancelot, sa poitrine à peine voilée collée contre lui. Je ne cherchais plus à comprendre, je pestais littéralement à haute voix tandis que quelques étudiants et autres passants me jetaient des regards ébahis de tout côté. Qu’ils aillent tous au diable, et Avery avec. Le couple s’arrêta devant une maison et la jeune femme fit mine de tirer sur le bras de Lancelot. J’eu peur qu’elle lui propose d’entrer. Auquel cas je ne pourrais plus rien y faire. Je me retrouverais seul, dans la rue, comme un con. J’accélérais le pas au moment précis ou les lèvres de la donzelle se posèrent sur celles de Lancelot. Que je savais douces et chaudes,
réconfortantes. Une vague de souvenirs remonta en moi, pulvérisant toute once de retenue qu’elle rencontra sur son chemin. C’était trop.
« —
Hé ! Lance ! »
Les hélais-je sans réfléchir à la portée de mes gestes et de mes choix.
« —
Alors c’est comme ça ?! Deux ans plus tard et c’est comme si rien ne s’était jamais passé ? »
J’arrivais à leur hauteur en moins de temps qu’il n’en aurait fallu pour le dire.
« —
Tu te fou de ma gueule ou quoi ? »
D’une main j’agrippai le col de la petite idiote, l’obligeant à s’éloigner de Lancelot en la tirant vers l’arrière. L’instant d’après, mon poing serré fendit l’air vers la pommette délicate du Serpentard.
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Tirage pair : Comme emporté par toute la fougue que je venais de mettre dans mon geste, je titubais de quelques pas. En aucun cas mon poing effleura Lancelot.Tirage impair : Comme il fallait s’y attendre de la part d’un ex-batteur, doublé d’un gardien de prestige, mon poing atterri brutalement en plein dans la joue d’Avery. Le contact fut brutal et je reculais un peu en secouant ma main dans tous les sens en espérant que cela suffise à atténuer la douleur qui me vrillait les phalanges. «
Putain ce que ça fait mal. » M’exclamais-je comme pour accuser le coup.
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L’instant d’après, mes yeux se levèrent vers Avery en le vrillant du regard le plus noir que j’avais en réserve.
« —
Va bien te faire foutre, surtout. Espèce de sale con. »
Combien de verre m’étais-je descendu au bout du compte ? J’avais préféré ne pas en tenir le compte, justement, de peur de me prendre un peu plus en pitié moi-même. Mais si je l’avais fait c’était parce que
je savais que sans ça...sans tout cet alcool bon marché...je n’aurais jamais eu le courage de lever le petit doigt. Et cette situation durait depuis trop longtemps déjà. Je ne pouvais plus l’accepter.