Lorsque Lionel relève son haut pour me montrer ses abdos impeccablement dessinés, je sens à la fois une vague d’admiration et une once de jalousie remonter en moi. J’imagine que les gènes jouent pour beaucoup dans l’équation mais si, comme lui, je réussissais à ne pas prendre un gramme en général, je ne pouvais pas pour autant me vanter d’une aussi belle musculature que la sienne. C’en était presque rageant…belle gueule, beau corps, et de l’esprit avec ça…pourquoi Lionel ne réussissait-il pas à se trouver une minette qui lui irait à 200% ?
Je fais rouler mes yeux vers le plafond l’air de dire «
c’est ça, vantes toi espèce d’imbu de ta personne » lorsque Lionel relâche le tissu de son vêtement. Mais je sais pertinemment que je souris en coin, parce que j’apprécie toujours autant son caractère franc et enflammé. J’enchaîne sur sa possible conquête et hausse un sourcil face à la pique qu’il m’envoi mais je n’y réponds rien parce que je sais qu’il a raison. J’ai été le premier à passer chez l’ennemi de mon plein gré. Et je ne le regrettais pas une seule seconde. Mon cerveau carbure et essaye de passer en revue toutes les donzelles des bleus en huitième année que je connais et qui pourraient rentrer dans les clous de la description donnée par Lionel. Mais j’esquisse une grimace quand mon esprit s’arrête sur Usui. Je repense à son caractère revêche, à la façon dont iel s’était défendu.e bec et ongles -ou presque- lorsque j’avais voulu lui rendre service en lea délestant de son sac de quidditch…est-ce que tout.es les serdaigles étaient comme iel ? Quelle idée, alors, d’avoir pioché dans cette maison. Non, il valait mieux opter pour un naturel doux et dévoué, assez commun chez les jaunes. Ou alors une flamme humaine et déchaînée comme on en trouvait chez nous autres, les rouges.
« —
T'sais Hiro, je crois... »
Je relève les yeux de mon assiette pour les planter sur Lionel, assez surprit du brusque changement dans son attitude. J’ai comme l’impression qu’il va me sortir un truc super sérieux que je ne dois pas prendre à la légère. Mon geste s’arrête en plein vol alors que j’étais en train de planter ma fourchette dans un morceau de viande rouge dans le plat en face de moi, pour m’en servir une part. Je suis à deux doigts de lâcher un «
oui ? » pour l’inciter à se confier franchement, lorsqu’une bourrasque brune et pétillante vient s’installer à côté de Lionel : c'est ma cadette, Chi-chan, qui débarque. Et qui vient de s’annoncer, comme à son habitude, avec grandiloquence. En soi sa présence ne m’étonne pas trop parce que Chizu semble avoir prit l’habitude de s’incruster à notre table pendant les repas. La dernière fois c’était pour me demander de lui consacrer un peu de temps et vu comment notre entretien s'était terminé, avec nos confessions respectives, l’arrivée impromptue du gardien des jaunes et surtout ses larmes à elle…ouais nan, je préférais encore la laisser faire et en avoir le cœur net de peur que ça ne recommence. Même si ça me fait chier d’avoir été coupé avec Lionel, parce que je suis certain d’être passé à côté d’un truc hyper rare et important. Je dépose finalement mon bout de viande dans mon assiette et commence à l’attaquer avec mon couteau pendant que ma sœur essaye de me chambrer sur mon petit air. Elle prend Lionel à parti et je retourne un regard mi-blasé mi-réprobateur en direction de mon meilleur ami. Qu’il n’ose pas aller dans son sens où je me vengerais sur le terrain en sortant de la limite des anneaux pour le viser personnellement avec un souaffle. Histoire de lui rappeler qu’en tant qu’ancien batteur, je n’étais pas rouillé du tout.
Chizu enchaîne sur le fait qu’elle ait perdu l’appétit et j’ai vraiment du mal à comprendre ce qu’il se passe. Chizu est volubile comme à son habitude, certes, mais ses propos ne sonnent pas comme d’habitude. Je la sens mal à l’aise. Il se passe quoi en fait ? J’hausse un sourcil en la fixant de mes yeux bleus alors que Lionel la prend au mot et lui explique un truc à propos d’exercices et de bien se dépenser pour récupérer l’appétit. Ma cadette n’a pas l’air d’être venue pour parler nourriture, parce qu’elle ne semble pas vraiment vouloir argumenter sur le sujet, ce qui pique franchement ma curiosité, parce que d’ordinaire elle est la première à surenchérir ne serait-ce que pour mettre les autres à l’aise et faire la conversation. Et d’instinct je sais que ce qui va suivre ne va pas me plaire. Mais alors
pas du tout.
« —
Je crois que je suis amoureuse de toi Lionel, t’es vraiment trop craquant avec ton appétit féroce… Grrrr ! »
Surprit, j’en lâche ma fourchette qui ricoche contre le coin de mon assiette avec un bruit aiguë avant de rebondir sur ma cuisse, en salissant mon pantalon au passage, pour finir sa route quelque part sous la table. Je grommelle un «
putain » et jette un coup d’œil sous la table pour vérifier où elle a été se perdre tout en repensant aux paroles que Chizu vient de nous lâcher. D’où on drague aussi ouvertement un aîné ? Puis c’était quoi ce «
grrr » à la fin de sa phrase, là ? Franchement y’a les bases à revoir… Je relève les yeux de dessous la table pour les regarder tous les deux. Au fond je suis un peu énervé parce que de premier abord j’aurais été capable de prendre la déclaration de Chizu au sérieux et que,
no way, c’était mort en fait. On ne touche pas à la mifa. Rien à foutre de l’avis des autres, de leur possible jugement ou quoi, on ne touche pas à Lionel
point. Ou alors on me trouve au prochain tournant et on passe un sale quart d’heure.
Chizu se donne encore en spectacle en esquissant un clin d’œil et part déloger un morceau de poulet sur la mâchoire carrée de Lionel et mon sang ne fait qu’un tour. Je reste planté comme un con trop choqué pour bouger. Holà, il se passait quoi là ? Chizu lui claque une bise et mon poing s’abat sur la table plus fort que je ne l’aurais voulu. Je regarde ma cadette se lever et s’éloigner de son pas léger et c’est seulement à ce moment précis que je prends conscience de sa brochette de potes rassemblés à la table des bleus. Ceux-là même que je rêvais de rétamer sur le terrain à chaque match contre les serdaigles. Ok, donc ce n’était qu’une plaisanterie ? Ça avait intérêt d’être ça, parce qu’après la scène qu'elle m'avait faite la semaine dernière à propos de Logan, si ce n’était pas le cas j’allais commencer sérieusement à douter de ses hormones. Elle nous faisait peut-être sa crise d’ado, qui sait ? Je fronce les sourcils lorsque je vois ses potes l’acclamer comme on acclame un guerrier qui revient sain et sauf du champ de bataille. Typiquement le genre de scène auxquelles on s’adonnait nous-même chez les rouges. Les défis puérils ça nous connaissait comme personne, faut dire…
Je soupire un coup pour extérioriser les tensions que je viens d’accumuler et retourne mon attention vers Lionel. Je suis à deux doigts de lui sortir un truc du genre «
t’avises même pas de toucher à ma sœur » mais il me prend de court en se ventant de toutes les attirer. J’ai envie de lui répondre au tac-au-tac un truc cinglant pour le rembarrer, mais je suis encore trop secoué par ce que j’ai vu et entendu pour aligner trois mots. Je ne sais pas ce qui m’a le plus foutu la haine entre les paroles de Chizu, son attitude à rentrer dans ce genre de blague de mauvais goût, ou la promiscuité physique qu’ils avaient eu tous les deux. Je me comportais pourtant de la même façon avec chacun d’eux, alors pourquoi n’y avaient-ils pas le droit sans moi ? Je connais déjà la réponse : c’est ma jalousie maladive qui reprend du galion, voilà tout.
Je soupire à nouveau en me penchant sous la table pour récupérer ma fourchette.
« —
Putain j’te jure, elle me les aura toutes faites… »
Je grommelle les dents serrées. Mais lorsque je me redresse, le petit sourire peiné qu’affiche mon meilleur ami finit par mettre le feu aux poudres et je ne réponds plus de rien. Je suis vert. Je grogne et j’attrape le banc de ma main libre pour le repousser et m’en extraire. Mon autre main toujours serrée autour de ma fourchette sale. Sans dire un mot je laisse Lionel et m’éloigne à grandes enjambées vers la table des bleus. Sur mon chemin je constate qu’un peu de monde s’est rajouté au brouhaha ambiant depuis que Lionel m’a rejoint, mais la salle n’est pas encore pleine à craquer comme à son habitude. En un claquement de doigt je me retrouve dans le dos de ma sœur. Je vois très clairement mon ombre s’étendre sur la table par-dessus ses épaules à cause de ma grande taille. Sans réfléchir ma main s’abat au milieu du buffet et ma fourchette vient se planter dans le bois de la table au beau milieu des plats en sauce et autres gourmandises. Je bouillonne littéralement mais je fais de mon mieux pour pas tout envoyer bouler. Mes doigts blanchis se desserrent autour du manche du couvert et mes mains partent malaxer les épaules de ma cadette sans ménagement.
« —
Alors, comme ça, on s’amuse bien chez les serdaigles ? »
Mon ton est traînant, pour leur laisser le temps d’assimiler chacun de mes mots.
« —
Je prend lequel pour taper sur l’autre exactement ? »
Je rugis presque, mauvais.
« —
Vous avez cru qu’en envoyant ma sœur ça allait minimiser les dégâts ? Vous vous êtes pris pour qui ? J’vous déconseille de nous sous-estimer…parce que la prochaine fois qu’on se croisera sur le terrain, ce n’est pas une raclée mais une déculottée qu’on va vous mettre, bande de simplets. »
Mes mains serrent une dernière fois les épaules délicates de ma cadette avant de les quitter.
« —
Quant à toi Chizu, tu ferais mieux d'aller présenter tes excuses à Lionel au lieu de faire le pitre...il a un cœur lui aussi, tu sais.»
Je me décide finalement à prendre congé en leur envoyant un «
à la revoyure les gosses » tout en tournant les talons. Je sais pertinemment que si je m’attarde trop la situation va dégénérer. Et je me rappelle encore l’altercation que nous avions eu avec l’équipe des serdaigles, pendant notre premier entraînement de quidditch. Pour une histoire de terrain réservé deux fois, un truc dans ce goût-là. Depuis les tensions n’étaient pas retombées entre nos deux équipes. Et si la première fois je m’étais contenté de fermer ma gueule, qu’il se gardent bien de venir nous rechercher des noises sinon je ne répondrais plus de rien.
Mon regard retourne vers mon meilleur ami et ses tiffes rousses indisciplinées, et rien que cette vision m’apaise. Je soupire en ignorant les remarques désobligeantes qu’on lance dans mon dos et je retourne m’installer en face de Lionel.
« —
C’est bon, c’est réglé, on reprend là où on s’étais arrêté avant que Chizu ne fasse des siennes. »
Je me passe une main dans les cheveux pour dégager mon visage et aussi pour me redonner un peu de contenance, puis mon regard retourne se planter dans celui doré de mon lion préféré.
« —
Tu voulais me dire quoi ? Ça m’intéresse, explique-moi. »
Surtout que je suis certain d’être passé à côté de quelque chose d’important.
« —
Et n’essaye pas d’éluder la question ou c’est toi qui prend pour les autres. »