Nous sommes lundi, début janvier. Le givre recouvre encore la flore qui pullule dans le parc du château, et mon voisin de chambré – habitué à mes retards à répétition – vient d’avoir la décence de taper à ma porte pour s'assurer que je soi bien à l’heure aujourd’hui. Mais quelle n'est pas sa surprise lorsqu’il constate, en poussant le battant, que je suis non seulement debout mais déjà habillé et prêt à en découdre avec le froid glaçant de l’extérieur ! Il me jauge de haut en bas, comme s’il n’en croie pas ses yeux, et je laisse échapper une remarque acerbe du genre : « quoi ? on croirait que t’as vu un mort. » à laquelle il se contente de répondre d’un haussement d’épaule avant de m’inviter à le rejoindre dans le couloir. Aussitôt je m’exécute. Je récupère une grosse écharpe en laine sur le portant installé près de la porte. Cette dernière ne m’appartient pas, comme la laine couleur vert et argent le laisse transparaître, car c’est Lancelot qui me l’a prêté un jour où nous nous étions retrouvés à l’extérieur lui et moi. Frileux comme il me connait, il avait concédé à me la prêter sur l’instant, et de bon cœur. Mais je n’avais jamais pu me résoudre à la lui rendre, tant la voir ainsi trôner dans ma chambre me réconfortait, surtout durant les périodes ou nous ne nous voyons pas trop… Alors autant dire que cette écharpe m’avait été d’un grand soutient ces derniers jours.
A la vue de ladite écharpe, que je viens à peine de nouer vivement autour de mon coup, j’entend mon voisin claquer sa langue d’un air réprobateur tout en me claquant une tape amicale sur l’épaule.
« — T’abuses, mec.
— T’occupes. »
Je réponds sans plus de considération. Autant avorter le débat ici avant qu’il ne prenne des proportions démesurées. Le regard qu’il me jette suffit à me faire comprendre à quel point il désapprouve mon choix vestimentaire, mais il se contente néanmoins de changer de sujet en embrayant sur les courbes délicieuses d’une dénommée Judy que je ne crois pas connaître et qui de toute façon appartient à la maison des serdaigles.
« — J’te jure ! Une beauté pareille, on n’en croise pas tous les ans…je comprend pas que tu puisses ne pas voir de qui je parle.
— Ouais ouais, si tu le dis. »
Je le laisse s’étaler de bon cœur sur le sujet sans vraiment y porter grande attention, car évidemment mon esprit à moi est occupé ailleurs. J’ai le cœur qui bat à mille à l’heure, comme s’il me menaçait de vouloir sortir de ma poitrine, et je sens le stress monter en moi en une vague continue. J’aime pas vraiment faire de vague justement, surtout quand ça implique quelqu’un d’autre que ma petite personne, mais la situation m’est devenue insupportable et je ne me vois pas ne rien faire en attendant qu’elle se résolve d’elle-même. Connaissant ma moitié, ça n’arrivera pas sans un coup de main. Et s’il s’est mit en tête de m’éviter tout le reste de l’année, je sais qu’il en est bien capable. Donc autant attraper le taureau par les cornes : je veux en avoir le cœur net.
Après plusieurs longues minutes de marche, nous arrivons enfin dans le hall du château. A l’heure à laquelle nous nous sommes levés seules deux solutions s’offre à nous : soit on rejoint les autres dans la grande salle pour le petit-déjeuner histoire de tuer le temps en douceur avant d’entamer notre journée de cours ; soit on s’est levés aux aurores pour un entraînement de quidditch. Ce qui est sensé être le cas, pour nous, mais j’ai bien décidé de jouer les rebelles pour la journée.
« — Tu viens pas ? »
Me lance soudain mon acolyte lorsqu’il voit que je ne fais pas mine de le suivre mais au contraire, que je reste planté les yeux rivés vers l’intérieur de la grande salle.
« — Non, dis à Roxanne que j’étais malade en me réveillant. »
Un petit mensonge, certes, mais sans trop de conséquences puisque dès l’instant où notre capitaine croiserait le chemin de quelqu’un ayant petit-déjeuner ce matin dans la grande salle, le mystère de mon absence serait levé. S’il me jette un regard curieux, mon ami se garde bien de m’interroger et se contente à nouveau d’hocher la tête avant de s’éloigner.
« — Courage, mec.
— Merci, toi aussi. »
Lorsque je le vois disparaître au bout du couloir qui mène vers le terrain de quidditch, je suis toujours prostré au même endroit dans le grand hall. « A croire que t’essayes de prendre racine » m’aurait sans nul doute jeté ma sœur cadette si elle avait été là aujourd’hui. Mais je préfère encore ne pas songer à son absence, qui coïncide presque étrangement avec celle d’Henry, dont Lancelot était le pupil. Ressasser tout ça me fou les tripes en compote, encore plus que l’appréhension qui grimpe en moi. Finalement je crois reconnaître Meredith, qui me passe à côté sans me voir et s’éloigne vers la grande salle. Si, elle, est présente ; alors les chances qu’il le soit aussi augmentent. J’inspire un grand coup avant d’esquisser quelques pas vers l’embrassure de la porte. Je jette un coup d’œil à l’intérieur, en direction de la table des rouges tout d’abord, pour m’enquérir des visages familiers qui peuvent y être attablés, puis vers celle des verts à la recherche des traits fins de Lancelot. Installé dos à moi, sa longue chevelure soyeuse et ses épaules larges finissent de m’assurer que je ne me trompe pas, tandis que je m’avance vers lui sans même répondre aux salutations qui s’élèvent dans ma direction et sur mon passage. Pour l’instant, je crois que je passe plutôt inaperçu. Et peut-être que, grâce aux couleurs de l’écharpe que je porte autour du cou, ça pourra perdurer encore un peu.
« — Salut. »
Je souffle finalement, lorsque j’arrive à hauteur de la tablée des Serpentards. Avant même que quelqu’un puisse ouvrir la bouche pour me congédier, j’en profite pour m’installer tout contre Lancelot. Sans tourner complètement la tête vers lui, je me contente de lui jeter un œil en coin pour jauger sa réaction, mais je n’ose pas ajouter un mot de plus. Mon épaule, et même tout mon flanc du côté de Lancelot, part se poser contre lui avant d’y exercer une petite pression. Ma façon à moi de lui signifier ma présence sans m’imposer. C’est l’unique geste d’affection que je me permets. Et les yeux toujours rivés au bois abimé de la table, je ne rêve que d’une chose : qu’il concède à passer son bras, chaud et rassurant, autour de mes épaules. Mais ce ne sera sans doute pas pour aujourd’hui, à en juger son comportement de ces derniers jours. Est-ce qu’il daignera seulement m’expliquer le pourquoi du comment ? Je jette un rapide coup d’œil à Meredith qui est installée en face de nous avant de baisser à nouveau les yeux. Le simple fait que ce soit elle et non pas un vert ou une verte random, me redonne un peu d’aplomb. Si je tape un scandale devant elle, ce sera toujours moins pire que devant n’importe quel autre membre de leur maison.
« — Je peux savoir pourquoi tu m’évites ouvertement depuis plusieurs jours. »
Je jette sans y mettre la forme. Je ne suis pas venu ici ce matin pour brosser qui que ce soit dans le sens du poil, mais bel et bien pour mettre Lancelot au pied du mur. Je veux en avoir le cœur net, c’est tout. Et évidemment, aux antipodes de la froideur de mes mots, je sens instinctivement mon corps se mouvoir un peu plus contre celui de Lancelot. Comme pour lui quémander un peu de cette affection qui nous a cruellement fait défaut ces derniers temps. « N’essayes même pas d’éluder la question » je pense très fort au moment où ma main fait mine de frôler la sienne. « Espèce de lâche. » J’ajoute intérieurement, comme si ces simples mots suffiraient à le faire sortir de ses gonds, à le faire réagir…. J’ai l’impression d’avoir régressé jusqu’en octobre dernier putain. Allait-on finir par se foutre sur la gueule comme ce fameux soir ?
@Lancelot D. Avery
« La passion est un désir qui se mue en plaisir, qui vibre à l'unisson d'un rêve que l'on touche du bout du coeur.* » citation de Romain Guilleaumes, Le Bûcher des Illusions, Sans, tu mens (2006)