Amitié caféinée
Il y avait quelque chose de spécial, dans l’expression d’Hannah lorsque Sheireen lui proposa de veiller un peu sur Daphnee pour qu’elle puisse travailler tranquille. Quelque chose qui éveilla un truc en la bibliothécaire (ou secrétaire, je suis pu certaine?), lui rappelait… Ben, elle-même. Cette face de poisson hors de l’eau en était une qui trônait assez régulièrement sur la tronche de Lestrange. À peu près chaque fois que quelqu’un était gentil avec elle, bref beaucoup trop souvent pour qu’elle n’ait pas un peu l’air attardée aux yeux de bon nombre de ses collègues.
Du coup, ça avait étrangement quelque chose de rassurant, d’humain même, de voir qu’elle n’était pas la seule à perdre ses mots à l’occasion et paraître avoir un caillot qui bloquait l’intégralité de ses capacités neurologiques!
L’infirmière (à moins qu’elle soit ballerine, ces métiers devenaient si confus!) n’avait toutefois pas vraiment eu le temps de répliquer quoi que ce soit entre sa fille qui la barbouillait de fraises et l’arrivée de Zopky. Une idée de Sheireen qui parut plaire à Hannah, bien que celle-ci semblait exaspérée un brin de ne pas y avoir pensé. Il faut dire que beaucoup de sorciers répugnaient de demander quoi que ce soit aux elfes de maison, parce qu’ils étaient contre leur état de « servitude », mais Lestrange l’avait toujours fait avec gentillesse et compassion, et les petites créatures l’adoraient, alors… elle se sentait moins mal de le faire.
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Oh, ça vient avec l’habitude, de penser à eux… ils adorent vraiment se rendre utiles, en plus. Légèrement mal à l’aise lorsqu’elle cause un débordement d’énergie à l’enfant après avoir prononcé un mot de trop, la bibliothécaire se fait heureusement vite rassurer par l’infirmière, qui ne semble pas lui en tenir rigueur. La gêne de Sheireen s’amoindrit pour laisser place à un grand sourire. Elle ne savait trop pourquoi, mais l’idée que Daphnee puisse l’aimer la remplissait d’une joie qui… Non, en fait elle savait
exactement pourquoi…
Ne pas penser à ça.Voulant chasser cette pensée de sa tête, Lestrange força un rire légèrement feint en voyant la pauvre mère barbouillée de rose, mais cette fois-ci celle-ci se souvint qu’elle était une sorcière et s’en débarrassa d’un coup de baguette. Récurvite devait assurément être dans le top 10 des sortilèges les plus appréciés par les parents, s’imaginait-elle. Comment les moldus pouvaient-ils se passer d’un truc pareil, en fait?
Revenant enfin à leur conversation d’adultes qui n’impliquaient aucunes fraises, Hannah lui offrit de rester boire son café avec elle, et Sheireen jeta un regard circulaire dans l’infirmerie pour constater qu’effectivement, l’engouement pour le lieu s’était presque éteint. Peut-être parce qu’ils préféraient tous assister à leurs cours que se faire prendre à mentir par la bibliothécaire? C’était assurément plus facile de berner les nouvelles que ça n’avait dû l’être avec Southman.
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Bien sûr, c’était justement mon intention, comme ça je vous sers aussi de deuxième paire de yeux au cas où le boulot redeviendrait trop prenant et que vous en ayez besoin pour… éviter les fugues, précise-t-elle en toute innocence en adressant un clin d’œil à l’enfant, laquelle lui répond d’un regard pétillant.
Son propos sembla d’ailleurs rappeler à Milligan l’offre que Lestrange lui avait fait un peu plus tôt sans réfléchir plus loin (pour certains, ça pouvait paraître un peu étrange qu’une inconnue se propose de garder son enfant!). Et effectivement, il y avait un « toutefois » aux remerciements de Hannah, qui interrompit toutefois sa pensée pour lui demander si elles pouvaient se tutoyer, parce que partager un café, c’est être amie, apparemment. Ce fut au tour de Sheireen d’avoir l’air d’un crapet-soleil qui manque d’air. Elle avait envie de dire oui, bien sûr, sur-le-champ, parce que c’était le genre de personne avec qui on se sentait bien sans avoir à s’y forcer. Mais la bibliothécaire étant qui elle était… Ce n’était pas vraiment naturel, pour elle, de tutoyer les gens.
Pourtant, tout en Hannah lui semblait agréable, jusqu’à sa façon nerveuse qu’elle avait à se mordiller la lèvre en réalisant à son tour qu’elle avait peut-être commis une bévue. Sans vraiment savoir ce qu’elle allait répondre exactement, et si elle allait réussir à prononcer quoi que ce soit d’intelligent, Sheireen ouvrit la bouche pour répondre finalement, mais un nouveau
crac l’interrompit. Chacune son tour apparemment. Zopky s’était surpassée, comme d’habitude, en apportant toujours plus que demandé, et les deux jeunes femmes remercièrent la créature magique pour ses bons services, la bibliothécaire en l’agrémentant d’un sourire sincère, du genre qu’elle n’adressait que très peu aux humains.
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Non, ça ira, merci bien Zopky, tu es un ange, lui susurre-t-elle gentiment en versant un peu de café dans son sucre.
Et entre-temps, Milligan était passé au tutoiement, ce qui, pour une rare fois, ne sonnait pas étrange à ses oreilles. Elle se surprit d’ailleurs elle-même à lui répliquer de la même façon, alors qu’elle avait l’habitude de buter à de nombreuses reprises sur les « vous » chaque fois qu’elle acceptait de tutoyer quelqu’un.
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Oh, c’est juste d’être gentille avec eux, ils ne demandent qu’à plaire, vraiment, répond-t-elle simplement à propos des elfes, un peu gênée, comme si ce n’était rien du tout, alors que pour une femme de lignée au sang pur… c’était énorme, techniquement.
Mais tu ne devrais pas parler trop vite, dépêche-toi de toucher du bois avant d’attirer le malheur, lui réplique-t-elle ensuite lorsque Hannah mentionne encore le calme de l’infirmerie.
En parler c’est le regretter, qu’Henry me disait toujours.Southman en était un des rares, justement, qu’elle tutoyait et appelait pas son prénom… Sheireen soupira, il allait lui manquer le bougre, même s’il lui avait un peu fait des avances à l’époque, bien qu’il eut l’âge d’être son père, il était véritablement un chouette type, et leur relation ne s’était pas envenimée à cause de cela!
La petite Daphnee la tira de ses pensées en demandant du chocolat, pointant le plateau qui était hors de sa portée du haut de ses trois pommes. D’un seul regard vers Hannah, Sheireen s’assura qu’elle était toujours d’accord pour que son enfant mange une telle friandise à cette heure déraisonnable, bien que le lui refuser risquait de coûter plus cher en gestion de crise que ce que l’excès d’énergie chocolatée allait lui faire subir dans une heure. C’était ce que les parents appelaient un « risque calculé », croyait-elle. Pas qu’elle en sache grands choses en fait, mais…
Ne pas penser à ça.
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Oh, non, Hannah! s’opposa doucement, et terriblement naturellement, Sheireen lorsque celle-ci se perdit en conjonctures.
Si je ne l’avais pas réellement voulu, je ne l’aurais pas proposé, ce n’est pas mon genre. Je… j’adore les enfants, en fait, et on n’en voit pas assez souvent, par ici. Les élèves ne comptent pas comme des enfants, maugrée-t-elle en songeant à l’âge qu’ils avaient.
Voyant que la gamine tentait de se servir à nouveau, sans succès, Lestrange sourit et poussa un biscuit dans sa direction pour la laisser le prendre seule cette fois-ci, ce qui la remplit de fierté… En fait, c’était un geste plutôt tactique, puisqu’il lui faudrait plus de temps pour engouffrer la pâtisserie qu’un chocolat, et du coup la garderait plus longtemps occupée. La bibliothécaire ne s’était toutefois pas attendu à l’élan d’amour que lui renvoya ensuite Daphnee, et ses bras tendus vers elle firent tomber son cœur comme une pierre dans sa poitrine. « Adoptée » était un mot qui chatouillait beaucoup les oreilles de Sheireen, surtout quand elle pensait que…
Ne pas penser à ça.
Acceptant la demande non verbale de la gamine, Lestrange posa sa tasse de sucre caféiné pour la prendre et la poser sur ses genoux, servant de siège alors qu’elle grignotait joyeusement son biscuit au beurre et couvrait sa robe de miettes.
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De rien… parvint-elle difficilement à articuler puisque sa langue s’est franchement transformée en plomb.
Comme je le disais… ce n’était pas juste par politesse, précise-t-elle à nouveau, se surprenant elle-même à effleurer les boucles brunes de la petite du bout de son nez, ce qui fait rire celle-ci.
Un rire d’enfant, c’est contagieux au point que Sheireen aussi se mit à rire, de cette façon franche qu’on entend rarement d’elle, et son cœur s’était remis à flotter à la bonne place dans sa poitrine. Devenir amie avec Hannah lui semblait si naturel à ce point-ci qu’elle ne voyait même pas comment elle avait pu s’empêcher de le faire durant tous ces mois depuis son entrée en poste.
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Au café de l’amitié, alors, finit-elle par clamer entre deux rires en récupérant maladroitement sa tasse d’une seule main, l’autre assurant une sécurité à l’enfant, pour la tendre en la direction de l’infirmière.
Ou à une amitié caféinée, je ne suis pas certaine, peut-être les deux, qu’en penses-tu, Hannah?Pourquoi ça lui plaisait autant de répéter son prénom de la sorte, absolument sans nécessité? C’était un joli prénom, en vérité, mais il lui semblait qu’elle ne se laisserait jamais de le dire.
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Combien de temps dois-tu encore survivre toute seule ici avant que Miss Bloom ne vienne te relever? J’ai encore pas mal de temps, tu sais, j’ai une assistante à la bibliothèque qui n’a plus cours du reste de la journée et qui y garde donc un œil pour que j’aie une pause.Parce que les pauses, ce n’était pas quelque chose qu’elle se permettait souvent. La bibliothèque était ouverte plus de douze heures par jour, et il fallait bien quelqu’un pour veiller dessus en tout temps. Certes, ce n’était rien comparé au travail d’infirmière, mais elles étaient au moins deux pour se relayer. Sheireen, elle, avait longtemps compté uniquement sur son chat Dewey… pas franchement fiable comme gardien, il ronflait les trois quarts du temps. Jarvey, son chartier, faisait certes un meilleur travail de guetteur, mais il faisait aussi parfois un peu peur aux plus jeunes élèves!
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Oh… hoquète-t-elle lorsque la petite fille pose sa tête pour sa poitrine en grignotant toujours son biscuit, dans un geste de confiance absolu qui fait monter des larmes aux yeux de la bibliothécaire. Sèchement, elle s’empresse de les essuyer, mais son geste n’a rien de subtile.
Tiens, c’est l’heure de ta sieste toi? articule-t-elle difficilement d’une voix soudainement plus rauque.
Tu veux aller faire un petit dodo dans les lits là-bas?Silencieusement, la petite tête brune se secoue de gauche à droite, mais l’enfant frotte ses yeux de sa main à son tour, se mettant plein de miettes de biscuits au visage par la même occasion. L’air impuissant, Sheireen se tourne vers la mère, qui mérite pourtant bien sa pause, mais qui saurait certainement mieux qu’elle quoi faire.